En mathématiques, et plus particulièrement en analyse, l'exponentielle d'une matrice est une fonction généralisant la fonction exponentielle aux matrices et aux endomorphismes par le calcul fonctionnel. Elle fait en particulier le pont entre un groupe de Lie et son algèbre de Lie.
Définition
Théorème et définition — La série de matrices de terme général
converge normalement sur toute partie bornée de [1].
On appelle alors exponentielle l'application
.
Pour n = 1, on retrouve la définition de l'exponentielle complexe.
Propriétés
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Sauf indication contraire, X, Y, etc. désignent des matrices n × n complexes (à coefficients complexes).
si X est antihermitienne (), alors eX est unitaire : .
Commutativité
Le commutateur de X et Y est noté [X , Y] (= XY – YX).
Si [X , Y] = 0 (les matrices commutent) alors .
Plus généralement, en supposant seulement que [X , Y]commute avec X et Y, (formule de Glauber).
Démonstration[3],[4]
Soit . Alors, et .
Remarquons d'abord la relation
,
pour toutes matrices A et B telles que B commute avec [A , B] et pour toute fonction F développable en série entière[5]. En effet, pour tout , la formule générale devient ici : .
Appliquons cette relation au commutateur :
, ou encore , donc .
On intègre en utilisant que [X , Y] commute avec X + Y :
En prenant t = 1 : .
Encore plus généralement, la formule de Baker-Campbell-Hausdorff donne l'expression de , plus précisément d'un logarithme de eX eY, par une série ne faisant intervenir que X, Y et leurs commutateurs. Les premiers termes sont[6],[7] :
L'exponentielle d'une matrice est toujours inversible. L'inverse de eX est donné par e-X. Cette fonction est donc une application de l'ensemble des matrices n × n vers le groupe général linéaire, c'est-à-dire le groupe de toutes les matrices inversibles. Cette application est surjective.
Pour deux matrices X et Y, nous avons :
où || · || désigne une norme matricielle arbitraire. Il suit que l'application exponentielle est continue et lipschitzienne sur tout sous-ensemble compact de .
L'application est même de classe .
Sa différentielle en 0 est l'identité et elle réalise un difféomorphisme entre un voisinage de 0 et un voisinage de l'identité.
Application t ↦ etX
L'application :
définit une courbe de classe dans le groupe linéaire qui passe par l'identité en t = 0. Cette courbe est en fait un sous-groupe de Lie commutatifà un paramètre de puisque :
.
La dérivée de cette courbe au point t est donnée par :
(la dérivée au point t = 0 est la matrice X, ce qui revient à dire que X engendre ce sous-groupe à un paramètre)
En effet, plus généralement, la différentielle de l'application exponentielle en une matrice X est donnée par :
est la matrice de rotation d'angle θ autour d'un axe Δ de vecteur unitaire [8].
Déformations
En géologie structurale, on s'intéresse à la déformation finie résultant, au bout d'un certain temps, d'une déformation progressive[9] :
,
,
où désigne le vecteur position par rapport à un point matériel arbitraire choisi comme origine (qui peut suivre n'importe quelle trajectoire entre les instants t0 et tf), la position initiale (à ) et la position finale (à t = tf). D est la « matrice de déformation finie » et L(t) la « matrice de déformation progressive ».
Si L(t) est une matrice constante L, alors :
.
Si L(t) varie mais commute avec sa dérivée [b], alors la formule précédente se généralise en[9],[c] :
.
Dans le cas général on ne sait exprimer D que sous la forme d'un développement en série[10],[d].
Calculs de l'exponentielle d'une matrice
Le calcul d'une exponentielle de matrice n'est pas a priori un problème facile. Cependant, dans certains cas, et notamment ceux d'une matrice diagonale et d'une matrice nilpotente, il ne présente aucune difficulté. Une fois cette remarque faite, le cas général peut se traiter en se ramenant aux deux cas précédents.
De plus, les valeurs propres de eA sont les exponentielles de celles de A, soit les éléments diagonaux de eD.
Matrice nilpotente
Une matrice N est nilpotente si Nq = 0 pour un entier q. Dans ce cas, son exponentielle eN se calcule directement à partir de son développement en série, puisque celui-ci ne comporte alors qu'un nombre fini de termes :
En conséquence, il faut seulement connaître la méthode pour calculer l'exponentielle d'un bloc de Jordan. Chacun est de la forme
où N est une matrice nilpotente. L'exponentielle du bloc est donnée par
.
Exemple
Soit la matrice
qui a la forme de Jordan
et la matrice de passage
,
d'inverse
.
Maintenant,
.
L'exponentielle de la matrice 1×1 J1(4) = [4] est simplement la matrice 1×1 [e4].
L'exponentielle de la matrice 2×2 J2(16) peut se calculer par la formule eλI+N = eλ eN mentionnée ci-dessus ; on obtient
,
d'où
.
Applications
Équations différentielles linéaires
Une des premières applications de l'exponentielle de matrices est la résolution des équations différentielles ordinaires. En effet, de l'équation ci-dessus, on déduit que la solution de :
,
où A est une matrice, est donnée par
.
L'exponentielle d'une matrice peut aussi servir à résoudre les équations non homogènes :
.
En multipliant par e−At, nous avons
.
La résolution du système se ramène donc au calcul de eAt.
Il n'existe pas de solution explicite pour les équations différentielles de la forme :
où A n'est pas constant, mais le développement de Magnus (en) donne la solution sous la forme d'une somme infinie.
Exemple (équation homogène)
Soit le système
La matrice associée est
et son exponentielle est
La solution générale du système est donc
c'est-à-dire, en posant , et :
Exemple (équation non homogène, variation de la constante)
Pour une équation non homogène, on peut utiliser une méthode semblable à la variation de la constante.
Nous cherchons une solution de la forme yp(t) = exp(tA)z(t) :
Avec yp comme solution :
.
Alors,
où c dépend des conditions initiales.
Exemple (non homogène)
Soit le système
Nous avons donc
.
Comme auparavant, la somme de la solution homogène et de la solution particulière donne la solution générale. La solution homogène étant connue, il suffit de trouver la solution particulière.
expression qui peut être simplifiée pour obtenir la solution particulière cherchée.
Notes et références
(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Matrix exponential » (voir la liste des auteurs).
↑C'est notamment le cas quand L(t) est proportionnelle à une matrice constante (L(t) = L0f(t)), ou bien encore si elle est diagonale.
↑Pour vérifier que cette expression est bien une (la) solution du système différentiel et des conditions initiales ci-dessus, il suffit de calculer en appliquant la définition de l'exponentielle d'une matrice : .
↑Roger Godement, Introduction à la théorie des groupes de Lie, Berlin, Springer, , 305 p. (ISBN3-540-20034-7, lire en ligne), p. 263.
↑Pour plus de termes, voir par exemple (en) Janusz Czyż, Paradoxes of Measures and Dimensions Originating in Felix Hausdorff's Ideas, World Scientific, , 738 p. (ISBN978-981-02-0189-0, lire en ligne), p. 421.
↑ abc et dJean-Pierre Provost et Gérard Vallée, Les maths en physique : La physique à travers le filtre des mathématiques, Paris, Éditions Dunod, coll. « Sciences Sup », , 1re éd., 331 p. (ISBN2-10-004652-7), p. 101-102.
↑ a et b(en) Ariel Provost, Cécile Buisson et Olivier Merle, « From progressive to finite deformation and back », Journal of Geophysical Research: Solid Earth, vol. 109, no B2, , p. 1-11, article no B02405 (DOI10.1029/2001JB001734, lire en ligne, consulté le ).
↑ a et bDaniel Pham, Techniques du Calcul Matriciel, Paris, Dunod, , 387 p., p. 232-235.
Voir aussi
Sur les autres projets Wikimedia :
Chapitre « Exponentielle d'une matrice » de la leçon « Réduction des endomorphismes », sur Wikiversity
Bibliographie
(en) Roger A. Horn et Charles R. Johnson, Topics in Matrix Analysis, Cambridge University Press, , 607 p. (ISBN0-521-46713-6, lire en ligne)
Xavier Merlin, Algèbre, Ellipses, coll. « Methodix », , 400 p. (ISBN978-2-7298-9555-6 et 2-7298-9555-8)
(en) Cleve Moler et Charles Van Loan, « Nineteen Dubious Ways to Compute the Exponential of a Matrix », SIAM Review, vol. 20, no 4, (DOI10.1137/1020098)
(en) Cleve Moler et Charles Van Loan, « Nineteen Dubious Ways to Compute the Exponential of a Matrix, Twenty-Five Years Later », SIAM Review, vol. 45, no 1, (DOI10.1137/S00361445024180)
(en) Roger B. Sidje, « Expokit: a software package for computing matrix exponentials », ACM TOMS, vol. 24, no 1, (DOI10.1145/285861.285868) — Code source